Introduction
: Bernard
Roux
Nos
actes d'achat alimentaires, modelés pendant des décennies par l'action des
grands groupes de l'industrie et de la distribution, se diversifient sous
l'influence de facteurs sociétaux. Du côté des consommateurs, il s'agit de
l'inquiétude devant l'origine et la qualité des produits, de la crainte
devant la nocivité des aliments pour la santé, de préoccupations
environnementales, de l'intérêt pour l'aménagement du territoire, d'une
sensibilité positive à l'égard des petits agriculteurs et paysans. En ce
qui concerne les producteurs, outre ces mêmes facteurs, qui les touchent
comme consommateurs, d'autres leurs sont spécifiques : la volonté de se
défaire de la domination des grandes enseignes commerciales, de contrôler
leurs débouchés, d'améliorer leurs revenus, de valoriser leurs savoir
faire, de se rapprocher des consommateurs. En conséquence, de nouveaux
modes de commercialisation se mettent en place, parmi lesquels les
circuits courts sont en train de prendre une place exemplaire aux côtés
des formes anciennes de commercialisation locale. Ainsi, la typologie des
circuits courts alimentaires s'élargit et se complexifie; on distingue la vente directe à la ferme, sur
les marchés locaux traditionnels où récents (marchés paysans), la vente en
tournée ou sur internet, les AMAP (Association pour le maintien de
l'agriculture paysanne), phénomène très significatif du rapprochement
entre consommateurs et producteurs, la consommation par l'accueil à la
ferme, les ateliers de transformation et de vente
collectives; il faut ajouter la
vente indirecte avec un seul intermédiaire qui concerne la restauration
individuelle ou collective et le commerce de détail. Bien que le poids
économique relatif des nouveaux circuits courts alimentaires soit encore
infime devant le poids de l'oligopole des grandes enseignes commerciales,
leur signification sociale, au contraire, est particulièrement importante,
dans la mesure où elle témoigne des forces et des initiatives qui sont à
l'œuvre pour changer le contenu et les modalités de notre société de
consommation actuelle. Car il ne fait pas de doute que l'aspiration à
manger mieux et plus sainement, accompagnée de la volonté de renouer le
contact entre producteurs d'aliments et consommateurs à travers un acte
commercial convivial, pénètre les comportements d'un nombre croissant de
citoyens. L'intérêt grandissant pour les circuits courts est indéniable et
se concrétise de diverses façons, depuis la place qui leur a été donnée
par le gouvernement lors du Grenelle de l'environnement et, en 2009, par
le Plan d'action et ses 14 mesures qui en a découlé et que leur a consacré
le ministre de l'agriculture Michel Barnier, jusqu'au tout récent colloque
national sur l'état des lieux de la recherche sur les circuits courts, des
5 et 6 mai 2010, organisé par l'INRA et la fédération nationale des CIVAM.
C'est pourquoi il nous est apparu utile de consacrer à ces formes de
commercialisation alimentaire une séance de l'Académie d'agriculture de
France, considérant que notre Académie devait se saisir de ce nouveau
phénomène socio-économique, même s'il se situe encore sur les marges de la
société. Mais on sait bien que c'est souvent sur ces marges que se
dessinent des modalités d'organisation destinées à s'amplifier. Il n'est
évidemment pas possible, au cours d'une brève séance, de brosser un
tableau exhaustif de la question. Nous avons choisi de l'illustrer, d'une
part grâce à une approche académique globale et, d'autre part, au moyen de
l'évocation de deux manifestations sociales concrètes du phénomène. La
séance débutera par une présentation de l'état des lieux des circuits
courts alimentaires en France, confiée à Madame Claire Delfosse,
professeure de géographie à l'université de Lyon II, spécialiste reconnue
du sujet. Elle dressera le tableau des formes traditionnelles toujours
présentes et des multiples initiatives nouvelles à l'œuvre. Après l'entrée
en matière académique, seront évoquées les AMAP, qui constituent une
modalité originale de circuit court, combinant le rapprochement
géographique et le contact social personnalisé, répondant aux
préoccupations sociétales déjà évoquées : l'écologie (éviter les longs
transports d'aliments, manger bio), la santé et le goût, l'équité de la
rémunération des agriculteurs, le maintien de l'agriculture sur les
territoires. Leur développement est rapide. Un acteur d'une AMAP d'Ile de
France, Monsieur Jean Louis Colas, agriculteur, a bien voulu venir
présenter devant nous, au delà de son action personnelle, l'état actuel,
les problèmes et les perspectives des AMAP de la région. Le développement
des circuits courts alimentaires est à rapprocher des préoccupations pour
la relocalisation des productions agricoles. Il s'agit, d'une part, de
lutter contre le coût énergétique du transport des matières premières et
des aliments en proposant de consommer des produits obtenus dans un faible
rayon autour des bassins de consommation; d'autre part, d'améliorer le contrôle de
l'aménagement des zones périurbaines, notamment en sortant l'agriculture
de la portion congrue où elle a été cantonnée. C'est donc l'action des
collectivités territoriales en faveur d'un nouveau modèle d'agriculture
périurbaine, incluant les circuits courts alimentaires, qui est ici en
question. Pour traiter de ce sujet, interviendra Monsieur Côme Molin, au
nom de l'association Terres en ville, qui rassemble vingt grandes
agglomérations françaises et les chambres d'agricultures de leurs
territoires, Enfin, notre confrère François Papy, par ailleurs amapien
convaincu, apportera la touche finale à cette
séance. |